«Qui a peur de Guillaume Tell? 
Réflexions désuètes sur la démocratie»


Un plaidoyer pour notre liberté individuelle

par Thomas Scherr

(30 janvier 2021)  «Qui a peur de Guillaume Tell? Réflexions désuètes sur la démocratie».* C'est le titre du livre d'Oliver Zimmer paru en novembre 2020. L’auteur enseigne l'histoire européenne moderne à Oxford. Il vit en Angleterre depuis vingt ans, mais ses racines se trouvent au bord du lac de Zurich. Nous recommandons la lecture de son livre à tout démocrate ayant préservé son esprit de liberté.

«Ce n'est pas un pamphlet contre Bruxelles. C'est un plaidoyer en faveur d'une République suisse sûre d'elle-même», déclare le texte de la couverture de cet ouvrage publié aux Editions Echtzeit Verlag de Bâle. On pourrait ajouter qu’il s’agit d’un plaidoyer pour tout réel démocrate. Avec plusieurs exemples, Oliver Zimmer illustre comment une classe supérieure élitiste ayant une compréhension tronquée du «libéralisme» détruit partout dans le monde les barrières démocratiques pour imposer ses propres intérêts, qu'elle considère tout naturellement comme justes et «démocratiques».

La démocratie est-elle désuète?

Le sous-titre «Unzeitgemässes zur Demokratie» [Réflexions désuètes sur la démocratie] ne manque pas d'une certaine ironie, car ce que l'historien Oliver Zimmer a à dire est clair, univoque et logique – pour ainsi dire intemporel. Le fait qu’à l’heure actuelle ses réflexions semblent «inopportunes» est dû à l'esprit du temps. Zimmer expose cela à l’aide d’exemples choisis dans les domaines de la culture, de la politique et de l'historiographie. Pour ce faire, il s'appuie sur ses nombreuses années d'observation en Suisse et en Grande-Bretagne.

Démocratie et libéralisme

Il réussit sans grand effort à montrer que notre conception actuelle de ce qui est «libéral» est contraire à ce que nous entendons par «démocratique». A l'aide de divers exemples, il trace une ligne corrective du libéralisme à la démocratie à la fin de son livre avec Norberto Bobbio: «La démocratie se développe naturellement à partir du libéralisme, motivée non pas par l'exigence d'égalité économique mais par le désir de souveraineté populaire. Une fois les droits de citoyenneté politique reconnus, ce désir de souveraineté s'établit rapidement. La participation politique des citoyennes et citoyens est légitimée par des droits garantis par la Constitution, et en même temps, la pratique démocratique protège ces droits contre les abus de pouvoir autocratiques: à long terme, seule la participation démocratique garantit les droits civils. Là où ils font défaut, il ne reste plus que le droit de résister à l'arbitraire et à l'oppression pour défendre les libertés libérales. L'interdépendance du libéralisme et de la démocratie est également illustrée par le fait que tout Etat autoritaire est à la fois antilibéral et antidémocratique.» (p. 163)

Un libéralisme mal compris

Comment est-ce possible que ce qu’on entend aujourd'hui par «libéral» puisse abroger nos droits démocratiques? Ce n'est pas un hasard si Zimmer attribue cela, entre autres, à la contradiction entre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui, au nom de «l'égalité des droits pour tous et partout», supprime au bulldozer tous les droits développés sur le terrain grâce aux processus démocratiques. Cette jurisprudence a désormais un impact profond également sur la Suisse, bien que notre pays ne soit pas membre de l'UE.

L'UE, une démocratie?

«Dans une communauté politique comme l'UE, ne disposant pas d'un Parlement doté de pouvoirs étendus se caractérisant par leur diversité, ce ne sont pas les représentants élus du peuple qui font office de législateurs politiques, mais les tribunaux de l'Union. C'est ce que l'on entend par ‹communauté de droit› à la Commission et dans l'administration de l'UE: la simple existence formelle de la séparation des pouvoirs tant vantée, qui est en réalité la domination des tribunaux européens sur les parlements nationaux. C'est par l'instrument des tribunaux européens que les démocraties légitimées par les Etats-nations sont mises au ban». (p. 150)

Accord-cadre CH–EU: perte de la boussole politico-démocratique

Zimmer caractérise clairement l'accord-cadre entre la Suisse et l'UE qui est en cours de négociation: «Avec cet accord, l'UE démontre son intention parfaitement légitime d'appliquer son code juridique de manière illimitée, même à l’égard d’un pays tiers contractuellement associé comme la Suisse. Avec l'accord-cadre, la Suisse deviendrait de facto membre de l'UE sans aucun droit de vote. Elle s'engagerait à adopter de manière dynamique la législation européenne existante et future. Si le Parlement et l'électorat suisse s’y opposaient dans certains cas, c’est la CJUE qui aurait le dernier mot. Quiconque décrit l'accord-cadre comme un compromis acceptable (par exemple, en raison du tribunal d'arbitrage mentionné en cas de litige) a perdu sa boussole politicodémocratique. Car dans le contexte du code juridique de l'UE, la démocratie directe (et dans une certaine mesure également la démocratie parlementaire) représente un facteur perturbateur contraire au système. [...] En d'autres termes, si l'on élimine la poudre aux yeux que représente la cour d'arbitrage, il s'agit d'un traité d'Etat extrêmement unilatéral, que la Suisse n'a jamais encore signé en temps de paix.» (p. 157)

La publication de Zimmer contient suffisamment de piques pour permettre une discussion animée sur l'orientation actuelle de la politique étrangère suisse. Les questions soulevées nous touchent de près. Ainsi, il présente aussi les positions d'écrivains, de juristes, d'historiens, de chefs d'entreprise et de politiciens de renom face au problème soulevé. Nous espérons que ce livre sera lu par un large public en Suisse et à l'étranger.

* Zimmer, Oliver. Wer hat Angst vor Tell? Unzeitgemässes zur Demokratie. Echtzeit Verlag Basel, 2020

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