Le gouvernement suisse continue à pratiquer le deux poids deux mesures
par Christian Müller*
(14 février 2025) Une femme peut-elle être «un peu enceinte»? Non, soit elle est enceinte, soit elle ne l'est pas! Et il en va de même avec la neutralité: soit un Etat est neutre, soit il ne l'est pas. Mais le gouvernement suisse mène une politique favorable aux Etats-Unis et à l'OTAN, tout en affirmant qu'en tant que «pays neutre», il est également un bon endroit pour mener des pourparlers de paix.
La bonne nouvelle pour commencer: la présidente de la Confédération et ministre de la Défense de l'année dernière, Mme Viola Amherd, dont la situation chaotique au sein de son département ne pouvait plus être dissimulée, a compris l'appel à la démission qui lui a été adressé – elle quittera ses fonctions en mars.
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(Photo infosperber)
Seulement voilà: les 36 nouveaux avions de combat américains F-35 qu'elle a choisis ont été commandés, les dizaines de milliards de francs de coûts non couverts par son budget et les autres problèmes non résolus dans son département ne disparaîtront malheureusement pas avec son départ. Il n'est donc pas étonnant que le parti «Le Centre», auquel revient le siège vacant du Conseil fédéral selon la coutume suisse, ait eu du mal à trouver des personnalités politiques prêts à reprendre ce département. Ce n'est qu'à la dernière minute que l'on a trouvé deux hommes prêts à reprendre le très problématique DDPS – Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports. Tous deux sont peu qualifiés pour ce poste, le Parlement caresse donc l'idée d'élire au gouvernement une personnalité non proposée officiellement.
L'agriculteur Markus Ritter, le candidat des deux hommes qui a le plus de chances d'être élu, a déjà été interrogé sur sa position concernant la neutralité de la Suisse. Sa réponse: il faut être neutre «selon la situation». Donc aussi «un peu enceinte, selon les cas». Pense-t-il vraiment pouvoir satisfaire ceux qui défendent la neutralité tout en faisant plaisir à ceux qui préféreraient l'enterrer? Et ce, après que le Conseil fédéral l’a déjà dramatiquement endommagée au printemps 2022 en reprenant en bloc les sanctions de l'UE contre la Russie?1
On se souvient que l'année dernière, un soi-disant «sommet de la paix» a été organisé sous la responsabilité de la présidente de la Confédération Viola Amherd et du ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis au Bürgenstock, sur les hauteurs du lac des Quatre-Cantons.2 Le président ukrainien Volodymyr Selenskyj y a été invité et embrassé, mais la partie russe de la guerre n'a pas été invitée. Un théâtre politique de premier ordre ayant coûté plus de dix millions de francs suisses.
Et quelles leçons en a-t-on tirées?
Aucune, car le même théâtre s'est tenu à Davos en janvier 2025 lors du WEF. Le président russe Vladimir Poutine y est également interdit d'accès, mais le président ukrainien Volodymyr Selenskyj, qui n'est plus président en raison d'élections qu'il a lui-même annulées, l'est bel et bien, et il a de nouveau été chaleureusement accueilli par la nouvelle présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter! Et qu'écrit à ce sujet Patrik Müller, le rédacteur en chef des journaux de groupe CH-Media, en première page de ses journaux?
«Comparé à son apparition sur la même scène il y a un an, le président ukrainien Volodymyr Selenskyj a semblé étrangement affaibli hier à Davos. Il avait raison sur tout ce qu'il a dit: l'Europe doit s'unir et lutter collectivement contre Poutine, l'Europe doit aider l'Ukraine et donc s'aider elle-même. Car la Chine soutient la Russie – et attendre les Etats-Unis ne suffit pas.»
On notera que «Selenskyj avait raison sur tout ce qu'il a dit.»(!) L'homme s'est certes lui-même délégitimé en annulant les élections présidentielles en Ukraine, mais il avait «raison sur tout». Et en même temps, les journaux de Patrik Müller ont présenté en première page une photo d'un Selenskyj tout souriant, à qui la nouvelle présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter tend également la main, rayonnante. Et le gros titre qui va avec: «La Suisse se positionne pour des pourparlers de paix.» Volodymyr Selenskyj, démocratiquement délégitimé – mais toujours appelé président – a été invité, chaleureusement salué et applaudi, alors que le président légitime de l'autre belligérant, M. Poutine, n'a pas été invité – toutefois, on se sent prédestiné pour accueillir des pourparlers de paix.
Dans un ABC concernant le WEF publié deux jours plus tôt par le même rédacteur en chef Patrik Müller, il a précisé sous la rubrique «Z wie Zaun» [C comme clôture] que pour assurer la sécurité de cette manifestation élitiste à Davos, on a dû installer 52 kilomètres de clôture et convoquer 5000 militaires pour un «service d'assistance», et que les seuls frais de sécurité du WEF s'élèvent à 9 millions de francs suisses, dont la moitié est payée par la Suisse – Confédération, canton des Grisons et commune de Davos: de l'argent pour la sécurité d'un rendez-vous des super-riches occidentaux! Et encore une fois: ici non plus, la Russie n'était pas invitée, mais Selenskyj a pu faire la leçon aux Européens et s’est fait applaudir! Et cela doit servir de base à des pourparlers de paix?
Et comment se comportent les médias de service public suisses alors que la Suisse «se prépare pour des pourparlers de paix»? L'«Echo der Zeit», le principal programme d'information de la radio publique en langue allemande, vient de rapporter que, malgré les sanctions, du contreplaqué de bouleau russe arrive toujours en Suisse, en faisant bien sûr un détour par d'autres pays. Et quel «expert» interroge-t-on à ce sujet? On interroge Benjamin Hilgenstock,3 qui travaille pour le think tank KSE, la «Kyiv School of Economics», et qui, dans cet entretien sur le contreplaqué de bouleau russe, qualifie la Russie de «dictature de plus en plus fasciste».
La Suisse, le pays idéal pour des pourparlers de paix!
* Christian Müller, né en 1944, a étudié l’histoire et le droit public à l’Université de Zurich, où il a obtenu un doctorat. Il a étudié l’économie d’entreprise à la Haute école de commerce de Saint-Gall (à l’époque). Puis, il a exercé 28 ans de journalisme actif auprès de différents quotidiens et hebdomadaires suisses à différents postes (rédaction et rédacteur en chef) ainsi que 20 ans de management d’édition (direction, CEO, conseil d’administration dans différents médias). Depuis de nombreuses années, il dirige sa société de consulting Commwork AG et depuis mars 2022, il est l’éditeur de la plateforme en ligne https://globalbridge.ch. |
Source: https://globalbridge.ch/die-schweizer-regierung-uebt-sich-weiter-in-doppelmoral/, 5 février 2025
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 https://globalbridge.ch/die-schweiz-hat-ihre-neutralitaet-beerdigt-ich-schaeme-mich-dafuer/
2 https://globalbridge.ch/der-friedensgipfel-der-keiner-ist/