Au sujet de la neutralité suisse
Comment les politiciens suisses démantèlent la neutralité de la Suisse
par Christian Müller*
(28 février 2023) La Confédération suisse – «Confoederatio Helvetica», d’où le CH sur les voitures – est historiquement neutre depuis le Congrès de Vienne de 1815. Suite à la réputation de l’homme d’affaires suisse Henry Dunant, dont les expériences lors de la bataille de Solférino en 1859 et les idées ont donné naissance à la «Croix-Rouge internationale», la Suisse s’est forgé une excellente réputation de médiateur international et de défenseur des intérêts entre Etats en conflit. Mais cela n’inquiète guère les dirigeants politiques actuels à Berne, qui mènent une politique unilatéralement favorable à l’OTAN.
«Le premier sommet parlementaire de la Plateforme internationale sur la Crimée1 se tiendra le 25 octobre 2022 à Zagreb, en Croatie. Une cinquantaine de délégations parlementaires internationales sont attendues pour discuter du futur de la Crimée. Le Parlement suisse y sera représenté par Irène Kälin (Les VERT-E-S/AG). Les participants adopteront une déclaration commune condamnant l’occupation illégale de la Crimée, qui sera publiée à l’issue de la conférence.»
Où pouvait-on voir des protestations? Voilà que la présidente du Conseil national suisse de l’é poque, l’Argovienne Irène Kälin, du parti des Verts, se rend à Zagreb en octobre 2022 pour participer à un sommet parlementaire de la «plate-forme sur la Crimée» créée par l’Ukraine. Comme on peut le lire dans le texte officiel de la Berne fédérale daté du 21 octobre, il ne s’agissait pas d’y discuter, mais, tout étant déjà fixé à l’avance, de condamner l’« occupation» de la Crimée par la Russie. Et Irène Kälin s’y présente comme représentante formelle de la Suisse.
Voici quelques extraits de son discours:2
«Au nom du Parlement suisse, je voudrais tout d’abord remercier l’Ukraine et la Croatie d’avoir organisé ce premier sommet parlementaire de la Plate-forme internationale pour la Crimée. […]
Le fait que nous soyons réunis ici aujourd’hui en tant que parlementaires – en tant que représentants du peuple – est également un signe important. Car c’est ainsi que nous exprimons la solidarité de notre peuple avec nos frères et sœurs ukrainiens.
Cette plateforme est aujourd’hui plus importante que jamais. Il y a plus de huit ans, la Russie a annexé la Crimée en violation flagrante du droit international. Avec le recul, il est clair que cette annexion n’é tait pas un incident isolé, mais simplement la première phase d’un plan plus vaste et brutal. […]
Permettez-moi également d’exprimer notre grande inquiétude quant à la situation des droits de l’homme en Crimée. Les rapports des organisations de défense des droits de l’homme font état de restrictions sévères, notamment en ce qui concerne les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Ils font également état de nombreux cas de détentions arbitraires ainsi que de déplacements forcés. […]
La population de Crimée a subi un double coup dur: d’abord, l’annexion il y a huit ans ainsi que la détérioration de la situation des droits de l’homme. Et maintenant, l’agression à grande échelle contre l’Ukraine, accompagnée d’une nouvelle restriction des libertés fondamentales, de la récente imposition de la loi martiale et du recrutement forcé des résidents de Crimée par l’armée russe. […] Le soutien de la Suisse à une Crimée ukrainienne est inébranlable. La Crimée, c’est l’Ukraine!»
Voilà donc une éminente politicienne suisse qui se rend à une rencontre internationale dont le communiqué final est déjà connu avant la rencontre, et elle prétend parler au nom de la population suisse. Dans son discours, elle montre toutefois clairement qu’elle n’a pas la moindre idée de la Crimée et de sa population.
Si elle s’é tait rendue une fois en Crimée, elle saurait que le peuple de Crimée voulait expressément la réunification avec la Russie et qu’il l’a exprimé par un référendum libre. L’auteur de ces lignes s’est personnellement rendu en Crimée pendant plusieurs semaines en 2019, et ce n’é tait pas la première fois, et n’a pas trouvé une seule personne souhaitant revenir à l’Ukraine3 parmi la centaine d’entretiens qu’il a eus avec des habitants de Crimée – de la femme de ménage d’un hôtel de Yalta à l’enseignante de l’Université de Sébastopol.
Mais qu’est-ce qu’une politicienne suisse – dans sa fonction de présidente (verte) du Conseil national! – a donc à faire des souhaits et des espoirs de personnes vivant dans un autre pays? Le fait qu’il y avait également des raisons justifiées au regard du droit international4 de procéder à une sécession suite au coup d’Etat de Kiev contre le président démocratiquement élu, puis de l’installation illégitime d’un nouveau gouvernement dépendant des Etats-Unis, n’a manifestement aucune importance pour cette politicienne – «elle s'en fout royalement» pour l’exprimer familièrement. Et qu’en est-il de la neutralité suisse, qu’elle devrait pourtant respecter en tant que conseillère nationale élue? Elle s’en moque!
Et maintenant, en février 2023, un nouvel exemple actuel …
Un communiqué formel du Palais fédéral de Berne:5
Le commandant suprême de l’OTAN en Europe reçu par le chef de l’Armée dans le cadre d’une visite de travail
«Berne, 10 février 2023 – Le 9 février 2023, le général Christopher G. Cavoli, commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), a rendu une visite de travail à l’Armée suisse. Les discussions avec le chef de l’Armée, le commandant de corps Thomas Süssli, ont porté principalement sur l’intensification de la coopération avec l’OTAN. […]
Durant la visite, le commandant de corps Süssli et le général Cavoli ont notamment discuté de la situation en Ukraine et des conséquences de la guerre pour l’Europe et l’OTAN. Ils ont également abordé le nouveau concept stratégique que l’Alliance a adopté fin juin 2022 lors de son sommet à Madrid. Ce concept accorde une grande importance à la coopération et au dialogue avec les Etats partenaires tels que la Suisse.
La capacité de défense renforcée grâce à la coopération
En septembre 2022, le Conseil fédéral a indiqué dans le rapport complémentaire au Rapport sur la politique de sécurité 2021 qu’il avait l’intention, dans le cadre du droit de la neutralité, d’accroître la coopération internationale avec les organisations partenaires, notamment avec l’OTAN et les Etats membres de l’Alliance. Contribuer à la sécurité en Europe et développer la coopération renforcent la capacité de défense de l’armée et donc la sécurité de la Suisse. Cette dernière participe depuis 1996 au Partenariat pour la paix avec l’OTAN, permettant ainsi à l’armée d’améliorer sa capacité à collaborer avec l’Alliance (interopérabilité).
Les possibilités concrètes actuellement en discussion incluent le détachement d’officiers d’é tat-major et de liaison suisses dans la structure de commandement de l’OTAN et la participation à des centres d’excellence de l’Alliance. Depuis l’é té 2021, la Suisse prend part aux travaux menés au Centre d’excellence pour la cyberdéfense en coopération à Tallinn (Estonie) afin de développer sa capacité de cyberdéfense. Par ailleurs, les entretiens porteront également sur une éventuelle participation de troupes suisses à des exercices multinationaux. […]
Renforcement de la coopération bilatérale
En sus de sa fonction au sein de l’Alliance, le général Cavoli commande également les forces armées américaines en Europe (United States European Command, USEUCOM). Ainsi, sa visite a aussi été l’occasion d’aborder les possibilités de renforcer la coopération bilatérale, sur la base d’un accord en matière d’instruction conclu entre la Suisse et les Etats-Unis en mai 2020.»
Pour faire court: la Suisse souhaite collaborer plus étroitement avec l’OTAN et également avec les Etats-Unis sur le plan militaire. Et ce en tant qu’Etat neutre!
Cette politique menée par le gouvernement suisse, par les deux Chambres du Parlement et par leurs administrations est une trahison claire de la neutralité suisse.6 La majorité de la population suisse est-elle vraiment disposée, à l’instar de l’Allemagne et d’autres pays membres de l’UE et de l’OTAN, à façonner son avenir en fonction des désirs de domination mondiale des Etats-Unis? Ces Etats-Unis qui, depuis des décennies, multiplient les interventions militaires dans presque toutes les régions du monde, avec des centaines de milliers de victimes de guerre sur la conscience?
... et les médias suisses y participent!
Le comble dans toute cette histoire, c’est que les quatre grands groupes de médias suisses, Ringier, Tamedia (TX Group), Neue Zürcher Zeitung et CH-Media, rapportent et commentent à leur tour fidèlement les desiderata de l’OTAN et des Etats-Unis. Seuls quelques médias plus ou moins petits osent encore exprimer une opinion divergente, parmi lesquels se trouvent la «Weltwoche»,7 «Horizons et débats,8 «Zeitgeschehen im Fokus»9 ou encore «Point de vue Suisse».10 – A lire régulièrement!
Pour la Suisse, en tant que pays libre et jusqu’ici neutre, le paysage médiatique actuel est une véritable tragédie – et une honte qui, espérons-le, entrera également dans les livres d’histoire, avec la mention expresse des propriétaires majoritaires des groupes médiatiques qui en sont responsables.
* Christian Müller, né en 1944, a étudié l’histoire et le droit public à l’Université de Zurich, où il a obtenu un doctorat. Il a étudié l’économie d’entreprise à la Haute école de commerce de Saint-Gall (à l’époque). Puis, il a exercé 28 ans de journalisme actif auprès de différents quotidiens et hebdomadaires suisses à différents postes (rédaction et rédacteur en chef) ainsi que 20 ans de management d’édition (direction, CEO, conseil d’administration dans différents médias). Depuis de nombreuses années, il dirige sa société de consulting Commwork AG, à temps plein ou à temps partiel et depuis mars 2022, il est l’éditeur de la plateforme en ligne https://globalbridge.ch. |
Source: https://globalbridge.ch/so-demontieren-schweizer-politiker-die-schweizer-neutralitaet, 15 février 2023
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-int-sprachen-2022-10-21.aspx?lang=1036, 21 octobre 2023
3 https://globalbridge.ch/krim-sanktionen-so-bestraft-der-westen-unschuldige-menschen/ 21 juillet 2019
4 https://globalbridge.ch/die-abspaltung-des-donbass-von-der-ukraine-war-kein-verstoss-gegen-das-voelkerrecht/, 15 juillet 2022
5 https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-92990.html, 10 février 2023
6 https://globalbridge.ch/die-schweiz-hat-ihre-neutralitaet-beerdigt-ich-schaeme-mich-dafuer/, 8 mars 2022
8 https://www.zeit-fragen.ch/fr/