Neutralité ou OTAN?
Assemblée constitutive du «Mouvement pour la neutralité»
par Daniel Funk, «Transition News»
(21 mars 2025) Le 9 mars dernier, le «Mouvement pour la neutralité» («Bewegung für Neutralität») a été fondé à Soleure. Le premier objectif de cette nouvelle organisation est d'aider l'Initiative populaire fédérale sur la neutralité à dépasser les clivages politiques, afin que la neutralité soit inscrite dans la Constitution fédérale.

Depuis février 2022, tout a changé. Alors que jusqu'à cette date, la Suisse était généralement perçue comme un Etat neutre, la situation a changé. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le Conseil fédéral, le gouvernement suisse, tente de «flexibiliser» la neutralité.
En termes simples, il rapproche le pays de l'OTAN. En ce qui concerne les sanctions de l'UE contre la Russie, le Conseil fédéral a hésité pendant quelques jours, mais les a ensuite toutes acceptées – vraisemblablement sous la forte pression de l'OTAN et de l'UE. Le conseiller fédéral Ignazio Cassis a inventé le paradoxe de la «neutralité coopérative».1
La Suisse a certes toujours respecté à tout moment le droit de la neutralité. Il est réglé dans les Conventions de La Haye de 1907 et oblige l'Etat neutre à ne pas favoriser militairement les parties en conflit dans une guerre interétatique. Mais la neutralité est aussi une question de perception.
Même pendant la guerre froide, la Suisse était fermement ancrée dans le camp occidental. Mais elle était malgré tout perçue comme neutre par toutes les parties, car elle se tenait à l'écart des alliances militaires et ne soutenait que partiellement les sanctions.
Plus tard, le pays s'est également comporté de la sorte. Lors de la guerre en Bosnie, il a accordé à l'OTAN des droits de survol, car cette mission avait été autorisée par le Conseil de sécurité de l'ONU et était donc légale, alors que les avions de l'OTAN qui ont bombardé la Serbie quelques années plus tard2 devaient contourner la Suisse. Le Conseil de sécurité de l'ONU n'ayant pas donné son accord, il s'agissait d'une guerre d'agression.
De telles subtilités sont perçues dans la diplomatie internationale, mais depuis février 2022 c’est terminé. Voilà pourquoi la Suisse n'est plus perçue comme un acteur neutre dans des parties importantes du monde. En avril 2024, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait même qualifié la Suisse de «pays ouvertement hostile».3
Neutralité ne signifie pas neutralité d'opinion, comme les nazis l'ont exigé sans succès de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Il va de soi qu'un pays neutre peut prendre position. Bien entendu, le pays et ses citoyens peuvent avoir une opinion et l'exprimer.
Mais la politique doit chercher à comprendre la position de toutes les parties en conflit, même si comprendre ne signifie pas approuver. Si elle le fait, elle peut alors fournir les «bons offices», mettre à disposition une plate-forme de négociation neutre et préserver les intérêts de pays ennemis – ce que la Suisse fait depuis de nombreuses années dans les relations entre les Etats-Unis et l'Iran.
C'est pourquoi le mouvement pour la neutralité bene.swiss,4 fondé le 9 mars, s'engage pour une Suisse des bons offices, c'est-à-dire pour une neutralité active et engagée. Si la Suisse avait maintenu une distance un peu plus grande avec l'OTAN et l'UE au cours des trois dernières années, les négociations actuellement en cours n'auraient peut-être pas lieu en Arabie saoudite et en Turquie, mais à Genève.
La neutralité rend également de bons services en politique intérieure. Pendant la Première Guerre mondiale, la Suisse était politiquement divisée. La Suisse alémanique était favorable à l'Empire, la Suisse romande à la France.
Dans son célèbre discours du 14 décembre 1914, Carl Spitteler,* l'un des écrivains les plus connus de l'époque, a appelé la Suisse à préserver sa neutralité. La neutralité est donc décisive, surtout en temps de crise, pour préserver la paix intérieure de la Suisse.
Sans neutralité, les Suisses ne pourraient plus décider eux-mêmes du destin de leur pays. Sous différentes formes, la Suisse est neutre depuis environ 500 ans, attestée au niveau international lors du Congrès de Vienne et dans les Traités de Versailles.
La neutralité est donc bien ancrée dans la population suisse. Elle fait partie de l'ADN de notre pays. Elle est tellement évidente que, jusqu'à présent, elle n'est mentionnée qu'en marge de la Constitution fédérale. La Suisse officielle n'ose donc pas la remettre entièrement en question. Une adhésion à une alliance militaire telle que l'OTAN nécessiterait une votation populaire, lors de laquelle une majorité des votants et une majorité des cantons devraient donner leur accord – un obstacle de taille qui ferait presque certainement échouer la demande.
C'est pourquoi une phalange composée du gouvernement, de presque tous les partis, d’organisations et des médias tente actuellement de rapprocher la Suisse de l'OTAN en adoptant des sanctions et autres mesures similaires.
Pour contrer cette tendance, l'Initiative sur la neutralité5 a été lancée il y a quelque temps. Les médias la désignent à tort comme une initiative de l'Union démocratique du centre (UDC). En effet, le plus grand parti de Suisse s'est fortement engagé en faveur de cette initiative populaire et a également apporté une grande partie des signatures. Mais l'impulsion et l'idée sont venues d'un autre côté.
Le Mouvement pour la neutralité a ainsi été lancé afin que l'initiative soit visiblement soutenue par une base plus large. Son objectif est d'élargir l'assise politique et sociétale du projet et de l'aider à s'imposer dans les urnes. Si, dans un an environ, une majorité des votants et des cantons l'approuvent, le texte de l'initiative aura valeur constitutionnelle et sera contraignant pour le Conseil fédéral.
Le maintien de la neutralité suisse, qui a fait ses preuves, est une question de paix intérieure et extérieure. Sa préservation permet de surmonter les divisions au sein de la population à ce sujet. Si elle continue à être progressivement «assouplie», la Suisse risque elle aussi, tôt ou tard, d'être contrainte de participer à des guerres étrangères ou à une militarisation coûteuse.
Car la neutralité ne signifie pas se tenir à l'écart et faire des affaires. Une neutralité active – et c'est pour cela que bene.swiss s'engage – signifie: élever la voix en faveur du droit international, servir de médiateur et être actif en tant que pays offrant ses bons offices. Bene.swiss est conçu comme un mouvement de base. Sur son site Internet, vous trouverez comment et où vous pouvez vous engager.6
Source: https://bene-schweiz.info/transition-news-berichtet-ueber-die-gruendungsversammlung-der-bewegung-fuer-neutralitaet/, 11 mars 2025
(Traduction «Point de vue Suisse»)
2 https://transition-news.org/humanitare-bomben-auf-serbien-teil-1