Faisons revivre les quatre libertés de F.D. Roosevelt et la Charte de l'Atlantique

Alfred de Zayas (Photo mad)

par Alfred de Zayas,* Genève

(19 septembre 2022) Les politiques actuelles des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l'Union européenne et de l'OTAN à l'égard de la Russie et de la Chine violent la lettre et l'esprit de la Charte des Nations Unies ainsi que de nombreuses déclarations, engagements et traités antérieurs qui sont à la base du droit international moderne.

Trop de profiteurs de guerre autour de nous

Les politiques occidentales d'«exceptionnalisme» et d'«unilatéralisme» ont directement alimenté une atmosphère d'intransigeance et d'hostilité, qui fait passer un discours raisonnable sur le dialogue et le compromis pour un «apaisement» lâche, voire une trahison.

Il se trouve que l'«apaisement» est la seule voie que l'humanité peut emprunter à l'ère nucléaire. C'est la voie que nos ancêtres ont tracée dans la Charte des Nations Unies, lorsque «nous, le peuple», avons exigé des mesures pour épargner aux générations futures le fléau de la guerre.

Cependant, nos dirigeants provoquent simultanément deux puissances nucléaires disposant de vastes stocks d'armes nucléaires et des moyens de les utiliser. Cette attitude est hautement antidémocratique, car les peuples ne veulent pas la guerre et ne consentent pas à des provocations inutiles. Les gens veulent et ont droit à la paix et à la prospérité. Ce sont les «élites» corporatives, le complexe militaro-industriel-financier qui veulent la guerre. En effet, il y a trop de profiteurs de guerre autour de nous.

Grands médias: chiens d'attaque ou chiens de garde?

Ce qui est particulièrement préoccupant, c'est que des voix sereines comme celles du professeur émérite Richard Falk à Princeton, du professeur Jeffrey Sachs à l'Université de Columbia ou du professeur John Mearsheimer à l'Université de Chicago, sont noyées dans les «fake news» et la propagande diffusées par les «narrative managers» des grands médias, qui semblent préférer le rôle de chiens d'attaque à celui de chiens de garde.

L'escalade délibérée des tensions contre la Russie et la Chine entraîne de multiples violations des buts et principes des Nations Unies, de l'OIT, de l'OMS et de l'UNESCO. En outre, cette escalade a conduit à des violations du Statut de Rome, à savoir l'agression, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.

Les administrations américaines et britanniques actuelles agissent d'une manière incompatible avec les «Quatre libertés» de Franklin Delano Roosevelt (FDR), exprimées dans son discours sur l'état de l'Union du 6 janvier 1941, et reprises, avec Winston Churchill, dans la Charte de l'Atlantique du 14 août 1941.

Les quatre libertés de Franklin D. Roosevelt.
(Photo BanyanTree – CC BY-SA 3.0)

La liberté d’expression

Par exemple, la censure massive des sources d'information russes, dont Sputnik et RT, viole la première liberté de FDR, à savoir la liberté d'expression, qui implique nécessairement la liberté d'accéder à toutes les informations, la liberté de prendre connaissance de ce qui est pertinent afin de développer une opinion, notre propre jugement et de pouvoir l’exprimer. La liberté d'expression ne se limite pas à se faire l'écho des sottises entendues le soir précédent sur CNN ou la BBC.

La «liberté de ne pas être dans le besoin»

La politique draconienne des sanctions américaines est incompatible avec la troisième liberté déclarée par Roosevelt, «La liberté de ne pas être dans le besoin», ce qui, traduit en termes contemporains, signifie une situation économique garantissant à chaque nation une vie saine en temps de paix pour ses habitants – partout dans le monde.

Cela signifie, entre autres, la sécurité alimentaire, l'accès à l'eau et à l'assainissement, une énergie abordable, la liberté de s'engager dans le commerce et la liberté des mers. Parmi les effets négatifs évidents des sanctions des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l'Union européenne figurent la famine, le désespoir et la mort.

Les sanctions imposées à des dizaines de pays dont la Biélorussie, Cuba, le Nicaragua, la Russie, la Syrie, le Venezuela ont déjà causé des dizaines de milliers de morts et constituent un crime contre l'humanité au sens de l'article 7 du Statut de la Cour pénale internationale.

«Etre libre de la peur»

Les politiques des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l'UE sont également incompatibles avec la quatrième liberté de FDR, «Etre libre de la peur». Il est remarquable que des ONG de défense des droits de l'homme comme Amnesty International et Human Rights Watch ne se soient pas concentrées sur la paix en tant que droit de l'homme.

C'est ce que l'Association espagnole pour le droit international des droits de l'homme a promu dans sa «Déclaration de Santiago»1 du 10 décembre 2010, qui s'appuyait sur la résolution 39/11 de l'Assemblée générale du 12 novembre 1984 et qui est finalement devenue le projet de résolution sur le droit à la paix,2 adopté par le Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, torpillé ensuite par les délégations des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l'Union européenne qui ont fait valoir au sein du Groupe de travail intergouvernemental sur le droit à la paix qu'il n'existait pas de droit à la paix et que le Conseil des droits de l'homme n'était de toute façon pas le bon endroit.

La résolution finalement adoptée par l'Assemblée générale (AG) le 19 décembre 20163 était nettement inférieure à ce que l'AG avait déjà reconnu en 1984. De même, chaque initiative de la Conférence des Nations Unies sur le désarmement a été éventrée par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'UE et les pays de l'OTAN, comme s'ils disaient au monde: «nous préférons en fait la guerre».

En ma qualité d'Expert indépendant des Nations Unies sur l'ordre international, j'ai assisté à toutes les réunions du groupe de travail du Conseil des droits de l'homme et j'ai été consterné d'entendre les arguments manifestement erronés avancés par les délégations des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l'Union européenne, arguments qu'un étudiant en première année de droit reconnaîtrait déjà comme du «faux droit».

L'expression «être libre de la peur» signifie nécessairement une réduction mondiale des armements à un point tel et d'une manière si complète qu'aucune nation ne devrait être en mesure de commettre un acte d'agression physique contre un voisin, où que ce soit dans le monde.

L'article 6 du Traité de non-prolifération engage tous les Etats qui possèdent des armes nucléaires à négocier de bonne foi en vue du désarmement nucléaire. Mais il semble que les puissances nucléaires, qu'elles soient ou non membres du TNP – notamment la Chine, la Russie, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, Israël, l'Inde et le Pakistan – soient déterminées à imposer la peur et la terreur au reste de l'humanité.

Principes énoncés dans la Charte de l’Atlantique

Les politiques de sanctions des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l'Union européenne et de l'OTAN à l'encontre de la Russie et de la Chine sont tout aussi incompatibles avec les principes énoncés dans la Charte de l'Atlantique, à savoir

1. Les ajustements territoriaux doivent être conformes aux souhaits des peuples concernés (par exemple par référendum dans le Haut-Karabakh, la Crimée et le Donbass). Si les dirigeants idéologiques des puissances occidentales refusent de reconnaître le fait que la grande majorité de la population de Crimée ne veut PAS vivre en Ukraine après le putsch anticonstitutionnel de 2014, ils devraient inviter l'ONU à organiser et à surveiller un nouveau référendum. En mars et juin 1994, j'étais le représentant de l'ONU pour les élections parlementaires et présidentielles en Ukraine. Sans aucun doute, la population de la Crimée et du Donbass parle et se sent proche du russe.

2. Tous les peuples ont le droit à l'autodétermination (par exemple en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Slovénie, en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo – mais aussi dans le Haut-Karabakh, en Abkhazie, en Ossétie du Sud et en Transnistrie). Ce droit à l'autodétermination a été intégré dans la Charte des Nations Unies et dans d'innombrables résolutions du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale. Il constitue également l'article 1 commun au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

3. Les barrières commerciales doivent être abaissées. Les régimes de sanctions imposés par les Etats-Unis et leurs alliés ont essentiellement détruit les avantages de la mondialisation pour des millions de personnes et perturbé de façon permanente les chaînes d'approvisionnement et les sources d'énergie, entraînant une baisse du commerce international, du produit intérieur brut, des faillites et du chômage.

4. La coopération économique mondiale et l'avancement du bien-être social doivent être la règle et non l'exception.

5. Tous les pays qui ont approuvé la Charte de l'Atlantique se sont engagés à œuvrer pour un monde libéré de la misère et de la peur.

6. Tous les pays se sont engagés à faire progresser la liberté des mers au sens de la «Mare liberum» de Hugo Grotius.

7. Tous les pays ont accepté le désarmement des nations agresseuses et un désarmement commun après la guerre.

Construire des ponts

La tragédie des générations qui ont suivi la Première Guerre mondiale est que les nobles principes contenus dans les 14 points du président Woodrow Wilson ont été bafoués dans les Traités de Versailles, de Saint-Germain et de Trianon, ce qui a conduit directement à la Seconde Guerre mondiale. C'est la tragédie des générations qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale que les objectifs proclamés dans les Quatre libertés et dans la Charte de l'Atlantique aient été abandonnés. C'est la tragédie de notre génération post-Union soviétique que nos dirigeants n'aient pas tenu leurs promesses de 1989–91 à Mikhaïl Gorbatchev et aient délibérément choisi la voie de la provocation et de l'expansionnisme de l'OTAN, ce qui a provoqué les tensions qui ont conduit à l'agression illégale de la Russie contre l'Ukraine et à la guerre par procuration menée par l'OTAN contre la Russie – jusqu'au dernier Ukrainien.

Pourquoi nos dirigeants n'ont-ils pas tenu compte des conseils de George F. Kennan, Jack Matlock, Richard Falk, Jeffrey Sachs, John Mearsheimer et Henry Kissinger?

Pour sortir du pétrin dans lequel nos dirigeants nous ont amenés, il faut construire des ponts – non seulement pour que les belligérants puissent s'échapper, mais aussi pour que les belligérants puissent se parler.

* Alfred de Zayas est professeur de droit à la Geneva School of Diplomacy et a été expert indépendant de l'ONU sur l'ordre international de 2012 à 18. Il est l'auteur de dix livres dont «Building a Just World Order» Clarity Press, 2021.

Source: https://www.counterpunch.org/2022/09/01/lets-revive-fdrs-four-freedoms-and-the-atlantic-charter/, 1er septembre 2022

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 http://www.aedidh.org/sites/default/files/Santiago-Declaration-en.pdf

2 https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/declaration-right-peoples-peace

3 https://www.hhrjournal.org/2017/01/the-right-to-peace-from-ratification-to-realization

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