Deux poids deux mesures au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
Alfred Zayas,* Genève
(11 juin 2022) Nul n’ignore que le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sert essentiellement les intérêts des pays occidentaux et développés, et que son approche de tous les dossiers relatifs aux droits de l’homme n’est pas globale. Le chantage et l’intimidation sont des pratiques courantes et les Etats-Unis ont démontré qu’ils disposaient d’un «soft power» suffisant pour amadouer les pays plus faibles.
Il n’est pas nécessaire de menacer dans l’hémicycle ou dans les couloirs; un coup de téléphone de l’ambassadeur suffit. Les pays sont menacés de sanctions, voire pire, comme je l’ai appris de diplomates africains. Bien sûr, s’ils abandonnent l’illusion de la souveraineté, ils sont récompensés en étant qualifiés de «démocrates». Seules les grandes puissances peuvent se permettre d’avoir leurs propres opinions et de voter en conséquence.
La Commission des droits de l’homme a été fondée en 1946. Elle avait adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme, de nombreux traités en la matière et mis en place un système de rapporteurs. Elle a été révoquée en 2006. A l’époque, j’ai été surpris par le raisonnement de l’Assemblée générale, parce que la raison invoquée était la «politisation» de la Commission.
Les Etats-Unis ont fait pression, sans succès, pour la création d’une commission plus restreinte, composée uniquement des pays qui respectent les droits de l’homme et qui pourraient émettre un jugement à l’égard des autres. En réalité, l’Assemblée générale a créé un nouvel organe composé de 47 Etats membres, le Conseil des droits de l’homme, qui, comme tout observateur le confirmera, est encore plus politisé et encore moins objectif que son prédécesseur décrié.
La session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme qui s’est tenue à Genève le 12 mai sur la guerre en Ukraine a été un événement particulièrement douloureux, entaché de déclarations xénophobes en violation de l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Les intervenants ont employé un ton méprisant pour diaboliser la Russie et Poutine, tout en ignorant les crimes de guerre commis par l’Ukraine depuis 2014, le massacre d’Odessa, les 8 ans de bombardements par les Ukrainiens sur la population civile de Donetsk et Lugansk, etc.
Absence d’équilibre
Un examen succinct des rapports de l’OSCE de février 2022 est révélateur. Le rapport du 15 février de la Mission spéciale de surveillance de l’OSCE en Ukraine a enregistré environ 41 explosions1 dans les zones de cessez-le-feu. Ce chiffre est passé à 76 explosions le 16 février,2 316 le 17 février,3 654 le 18 février,4 1413 le 19 février,5 un total de 2026 les 20 et 21 février6 et 1484 le 22 février.7
Les rapports de mission de l’OSCE ont montré que la grande majorité des explosions provoquées par l’artillerie se produisaient du côté séparatiste de la ligne de cessez-le-feu.8 Nous pourrions facilement comparer le bombardement ukrainien du Donbass avec celui de la Bosnie et de Sarajevo par la Serbie. Mais à l’époque, l’agenda géopolitique de l’OTAN favorisait la Bosnie et, là aussi, le monde était divisé entre les gentils et les méchants.
Tout observateur extérieur s’offusquerait du manque d’équilibre dont ont fait preuve les discussions du Conseil des droits de l’homme jeudi dernier. Mais y a-t-il encore beaucoup de penseurs indépendants dans les rangs de l’«industrie des droits de l’homme»? La pression de la «pensée de groupe» est considérable.
Des commissions d’enquête douteuses
L’idée de créer une commission d’enquête sur les crimes de guerre en Ukraine n’est pas nécessairement mauvaise. Mais une telle commission devrait être dotée d’un large mandat qui lui permettrait d’enquêter sur les crimes de guerre commis par tous les belligérants, aussi bien les soldats russes que les soldats ukrainiens et les 20 000 mercenaires de 52 pays qui combattent du côté ukrainien. Selon Al-Jazeera, plus de la moitié d’entre eux, 53,7%, sont originaires des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et du Canada, et 6,8% d’Allemagne. Il serait également judicieux de donner à la commission le pouvoir de se pencher sur les activités des 30 laboratoires de biologie américano-ukrainiens.
Il est particulièrement choquant de constater que lors du «spectacle» du 12 mai au Conseil, les Etats se sont livrés à une rhétorique contraire au droit de l’homme pour la paix (résolution39/11 de l’Assemblée générale) et au droit à la vie (article 6 du PIDCP). La priorité n’était pas de sauver des vies en élaborant des moyens de promouvoir le dialogue et de parvenir à un compromis raisonnable qui mettrait fin aux hostilités, mais simplement de condamner la Russie et d’invoquer le droit pénal international contre la Russie de façon évidemment exclusive.
En effet, lors de cet événement, les intervenants se sont principalement livrés à un exercice de mise en accusation, le plus souvent sans preuves, puisque nombre des allégations n’étaient pas appuyées par des faits concrets et dignes d’un tribunal. Les accusateurs se sont également appuyés sur des allégations que la Russie avait déjà abordées et réfutées. Mais comme nous le rappellent les paroles de la chanson de Simon & Garfunkel «The Boxer», «un homme entend ce qu’il veut entendre et ne tient pas compte du reste».
La Chine dénonce le manque d’impartialité
L’objectif d’une commission d’enquête devrait précisément être de recueillir des preuves tangibles de part et d’autre, et d’entendre autant de témoins que possible. Malheureusement, la résolution adoptée le 12 mai n’est pas de bon augure pour la paix et la réconciliation, car elle est terriblement unilatérale.
La Chine a par conséquent dérogé à sa pratique d’abstention lors de tels votes et a voté contre la résolution. Il est louable que Chen Xu, le plus haut diplomate chinois à l’Office des Nations Unies à Genève, ait parlé d’une tentative de médiation pour la paix et ait appelé à une approche globale de la sécurité. Il a déclaré:
«Nous avons noté que ces dernières années, la politisation et la confrontation au [Conseil] ont augmenté, affectant sévèrement sa crédibilité, son impartialité et la solidarité internationale.»
Le rituel du «Russia-bashing»
Une nouvelle réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, qui s’est tenue à New York le jeudi 12 mai, a été bien plus importante que le rituel de dénigrement genevois de la Russie et l’hypocrisie ahurissante de la résolution. L’ambassadeur chinois auprès des Nations Unies, Dai Bing, a affirmé que les sanctions contre la Russie se retourneraient certainement contre elle. «Les sanctions n’apporteront pas la paix, mais ne feront qu’accélérer le débordement de la crise, entraînant des crises alimentaires, énergétiques et financières de grande ampleur dans le monde entier.»
Le 13 mai, toujours au Conseil de sécurité, le représentant permanent de la Russie auprès de l’ONU, Vassily Nebenzia, a présenté des preuves illustrant les activités dangereuses de près de 30 laboratoires de biologie américains en Ukraine.9 Il a rappelé la Convention sur les armes biologiques ou à toxines de 1975 (CABT) et a exprimé sa préoccupation quant aux risques considérables liés aux expériences biologiques menées dans les laboratoires de guerre américains comme celui de Fort Detrick, dans le Maryland.
Des éléments de preuve sur les armes biologiques ignorés
M. Nebenzia a indiqué que les laboratoires de biologie ukrainiens étaient directement supervisés par la Defense Threat Reduction Agency américaine, au service du National Center for Medical Intelligence du Pentagone. Il a confirmé le transfert à l’étranger de plus de 140 conteneurs contenant des ectoparasites de chauves-souris provenant d’un laboratoire de biologie de Kharkov, sans aucun contrôle international.
Il est évident qu’il existe toujours un risque que des organismes pathogènes soient volés à des fins terroristes ou vendus sur le marché noir. Des preuves montrent que des expériences dangereuses ont été conduites depuis 2014, à la suite du coup d’Etat orchestré et coordonné par l’Occident contre le président élu par la majorité des Ukrainiens, Victor Yanukovych.10
Il semblerait que le programme américain ait déclenché une augmentation de cas d’infections graves et économiquement significatives en Ukraine. Il a déclaré: «Il existe des preuves qu’à Kharkov, où se trouve l’un des laboratoires, 20 soldats ukrainiens sont morts de la grippe porcine en janvier 2016, 200 autres ont été hospitalisés. Par ailleurs, des épidémies de peste porcine africaine se produisent régulièrement en Ukraine. En 2019, il y a eu une épidémie d’une maladie dont les symptômes étaient semblables à ceux de la peste.»
USA — Kiev pour brouiller les pistes
Selon les rapports du ministère russe de la Défense, les Etats-Unis ont exigé que Kiev détruise les agents pathogènes et dissimule toutes les preuves de la recherche afin que la partie russe ne mette pas la main sur les éléments de preuve des violations ukrainiennes et américaines de l’article 1 de la BTWC. Par conséquent, l’Ukraine s’est empressée de fermer tous les programmes biologiques et le ministère ukrainien de la Santé a ordonné l’élimination des agents biologiques déposés dans les laboratoires biologiques à partir du 24 février 2022.
L’ambassadeur Nebenzia a rappelé que lors d’une audition du Congrès américain le 8 mars, Victoria Nuland, secrétaire adjointe d’Etat, a confirmé qu’il existait en Ukraine des laboratoires biologiques où des recherches avaient été menées à des fins militaires, et qu’il était impératif que ces installations de recherche biologique «ne tombent pas aux mains des forces russes».11
Pendant ce temps, Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, a rejeté les preuves russes, les qualifiant de «propagande», et a fait allusion de façon injustifiée à un rapport discrédité de l’OIAC sur l’utilisation présumée d’armes chimiques à Douma par le président syrien Bachar Al-Assad, établissant ainsi une sorte de culpabilité par association.
Les réactions de l’Occident sont pathétiques
Plus pathétique encore a été la déclaration de Barbara Woodward, ambassadrice du Royaume-Uni, qui a qualifié les préoccupations de la Russie de «théories du complot farfelues, totalement infondées et irresponsables».
Lors de cette session du Conseil de sécurité, l’ambassadeur chinois Dai Bing a exhorté les pays détenant des armes de destruction massive (ADM), notamment des armes biologiques et chimiques, à détruire leurs stocks:
«Nous nous opposons fermement à la conception, au stockage et à l’utilisation d’armes biologiques et chimiques par quiconque et en toutes circonstances, et nous exhortons les pays qui n’ont pas encore détruit leurs stocks d’armes biologiques et chimiques à le faire dans les meilleurs délais. Toute piste d’information sur une activité militaro-biologique devrait susciter une grande inquiétude au sein de la communauté internationale.» La Chine a appelé toutes les parties concernées à répondre aux questions appropriées en temps voulu et à fournir des clarifications exhaustives afin de dissiper les doutes légitimes de la communauté internationale.
On peut supposer que les médias grand public donneront une grande visibilité aux déclarations des Etats-Unis et du Royaume-Uni et ignoreront allègrement les preuves présentées par les propositions de la Russie et de la Chine.
Les statuts de Nuremberg — L’OTAN, une organisation criminelle?
Il y a d’autres mauvaises nouvelles concernant la paix et le développement durable. De mauvaises nouvelles en matière de désarmement, en particulier de désarmement nucléaire; de mauvaises nouvelles en rapport avec l’augmentation incessante du budget militaire et le gaspillage des fonds destinés à la course aux armements et à la guerre. Nous venons d’apprendre la candidature de la Finlande et de la Suède à l’OTAN.
Se rendent-elles compte qu’elles rejoignent en fait ce qui pourrait être considéré comme une «organisation criminelle» au sens de l’article 9 du statut du tribunal de Nuremberg? Sont-ils conscients du fait qu’au cours des 30 dernières années, l’OTAN a commis des crimes d’agression et des crimes de guerre en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie? Bien sûr, l’OTAN a jusqu’à présent bénéficié de l’impunité. Mais le fait de «s’en tirer» ne rend pas ces crimes moins criminels.
Si la crédibilité du Conseil des droits de l’homme n’est pas encore enterrée, force est de constater qu’elle est gravement atteinte. Hélas, le Conseil de sécurité ne mérite pas non plus de louanges. Tous deux sont des arènes de gladiateurs où les pays ne cherchent qu’à marquer des points. Ces deux institutions deviendront-elles un jour des forums civilisés de débat constructif sur les questions de guerre et de paix, de droits de l’homme et de la survie même de l’humanité?
* Alfred de Zayas est professeur de droit à la Geneva School of Diplomacy et a été expert indépendant des Nations unies pour l'ordre international de 2012 à 2018. Il est l'auteur de dix livres dont «Building a Just World Order» Clarity Press, 2021. |
Source: https://www.counterpunch.org/2022/05/17/double-standards-at-the-un-human-rights-council/, 17 Mai 2022
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 https://www.osce.org/special-monitoring-mission-to-ukraine/512272
2 https://www.osce.org/special-monitoring-mission-to-ukraine/512326
3 https://www.osce.org/special-monitoring-mission-to-ukraine/512506
4 https://www.osce.org/special-monitoring-mission-to-ukraine/512605
5 https://www.osce.org/special-monitoring-mission-to-ukraine/512629
6 https://www.osce.org/special-monitoring-mission-to-ukraine/512683
7 https://www.osce.org/special-monitoring-mission-to-ukraine/512842
8 cf. https://www.osce.org/special-monitoring-mission-to-ukraine/512683
9 https://consortiumnews.com/2022/03/12/watch-un-security-council-on-ukraines-bio-research/