L'Asie occidentale réagit au badinage de Trump avec le sionisme
par M.K. Bhadrakumar,* Inde
(22 novembre 2024) La victoire électorale de Donald Trump aux élections du 5 novembre est perçue au Moyen-Orient avec une anxiété croissante, présageant que les Etats-Unis s’aligneront à cent pour cent avec le projet sioniste de Grand Israël.
Bien que Donald Trump ait empêché les bruyants néoconservateurs d’accéder à des positions gouvernementales, on ne peut pas en dire autant des personnalités prosionistes. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu affirme qu’il a déjà parlé trois fois1 avec Trump depuis son élection et qu’ils «sont d’accord sur la menace iranienne et toutes ses composantes».Les «composantes» sous-entendent que Netanyahu espère obtenir un chèque en blanc de Trump pour accélérer le nettoyage ethnique à Gaza, annexer de la Cisjordanie, lancer des représailles violentes contre les Palestiniens et, plus important encore, porter la guerre directement sur le territoire iranien.
Cette semaine, trois événements en trois jours montrent les premiers signes du contrecoup qui se prépare. Lundi [11 novembre], le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Ismaïl Baqaei, a donné la première réaction officielle de Téhéran à la victoire électorale de Trump. Baqaei a adopté une ligne nuancée en disant: «Ce qui compte pour nous dans cette région, c’est le comportement et les politiques réels des Etats-Unis à l’égard de l’Iran et de l’Asie occidentale au sens large.»
Baqaei a notamment exprimé «un optimisme prudent quant au fait que la nouvelle administration [Trump] pourrait adopter une approche plus axée sur la paix, réduire les hostilités régionales et respecter ses engagements». («Tehran Times») Baqaei a également réfuté la récente allégation de Washington selon laquelle l’Iran était impliqué dans des complots visant à assassiner Trump. Il a qualifié l’allégation de l’administration Biden de «rien de plus qu’une tentative de saboter les relations» entre Téhéran et Washington en «posant des pièges pour compliquer le chemin de la prochaine administration».
Baqaei a également assuré à la nouvelle administration américaine que Téhéran adhérait fermement à un programme nucléaire à des fins pacifiques. Il a annoncé que Rafael Grossi, directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) devait arriver à Téhéran mercredi soir [13 novembre].
Dans l'ensemble, les déclarations de Baqaei indiquent que l'Iran espère qu'un accord peut encore être trouvé entre Trump et Netanyahu. L’élément décisif ici est la remarque que Trump a intégrée avec circonspection, dans son discours de victoire du 6 novembre:2 «Je ne vais pas déclencher de guerre. Je vais arrêter les guerres.»
Trump a déclaré publiquement pendant sa campagne électorale: «Je ne veux pas nuire à l’Iran, mais ils n’ont pas le droit d’avoir d’armes nucléaires.» Les consultations entre Téhéran et Grossi répondent à l’inquiétude de Trump. C’est une action intelligente. La position non provocatrice de l’Iran signifie qu’il n’y aura aucun alibi pour attaquer l’Iran.
Cela dit, «l’inconnu connu» demeure toujours, à savoir les représailles de l’Iran pour l’attaque israélienne du 26 octobre. Le 2 novembre, le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, dans une vidéo diffusée par les médias d’Etat iraniens, a promis «une réponse écrasante» à l’attaque israélienne. En théorie, la période jusqu’au 20 janvier où Trump prêtera serment va être critique.
Entre-temps, on a appris cette semaine que l'Iran et l'Arabie saoudite avaient donné un nouvel élan à leur politique de détente, qui se manifeste maintenant par la solidarité de Riyad et son soutien ouvert à l’Iran dans sa confrontation croissante avec Israël.
En pleines tensions croissantes dans la région, le chef d’état-major des forces armées saoudiennes, Fayyad al-Ruwaili, s’est rendu à Téhéran le 10 novembre et a rencontré son homologue iranien, le général Mohammad Bagheri. Le président iranien Masoud Pezeshkian s’est entretenu au téléphone3 avec le Prince héritier saoudien Mohammed bin Salman (MbS) dans le cadre d’un sommet organisé par l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) et la Ligue arabe, à Riyad les 11 et 12 novembre. L’Iran a invité MbS à se rendre à Téhéran!
Deux points forts extrêmement importants du sommet de Riyad ont été, d'une part, le discours d'ouverture du prince saoudien, dans lequel il a mis en garde Israël contre toute attaque envers l'Iran. Cela a marqué un tournant historique de Riyad par rapport au conflit entre Téhéran et Israël et un abandon de la normalisation des relations avec Jérusalem, encouragée par les Etats-Unis.
MbS a déclaré au sommet4 que la communauté internationale devrait obliger Israël «à respecter la souveraineté de la République islamique sœur d’Iran et ne pas violer ses terres».
Encore une fois, l’Arabie saoudite a accusé Israël pour la première fois d’avoir commis un «génocide» à Gaza.5 MbS a déclaré aux dirigeants réunis à Riyad que le royaume renouvelait «sa condamnation et son rejet catégorique du génocide commis par Israël contre le peuple palestinien frère …»
Trump a été averti qu’il allait trouver un paysage géopolitique radicalement différent en Asie orientale par rapport à son premier mandat de président. L’équipe de transition de Trump garde ses cartes couvertes, offrant au rapport quotidien de la sécurité nationale une déclaration standard selon laquelle Trump prendra «les mesures nécessaires» pour «diriger notre pays» et «rétablir la paix par la force». Mais la sonnette d’alarme retentit.
Les principaux piliers de la stratégie de «pression maximale» de Trump contre Téhéran – isoler l’Iran et augmenter la pression économique tout en maintenant une menace crédible de force militaire comme moyen de dissuasion – sont ébranlés.
D'autre part, l'attaque massive par missiles balistiques contre Israël le 1er octobre et l'échec colossal des frappes aériennes israéliennes contre l'Iran 26 jours plus tard envoient à toute l'Asie occidentale le message clair qu'Israël n'est plus la puissance militaire dominante qu'il était autrefois – et qu'un nouveau shérif est entré en ville. Trump devra gérer les retombées de cette affaire des deux côtés avec un capital diplomatique et géopolitique américain réduit à sa disposition.
Entre-temps, Téhéran approfondit également sa coopération avec la Russie, ce qui ajoute une nouvelle complexité géante, de la taille de l’Ukraine, à la politique iranienne de Trump. Alors qu’en Eurasie, les Etats-Unis ont des alliés, Trump navigue à peu près seul en Asie occidentale.
L’isolement des Etats-Unis est visible de façon spectaculaire par l’annonce du président Recep Tayyip Erdogan mercredi [13 novembre]6 que la Turquie, pays membre de l’OTAN, a rompu tous ses liens avec Israël. Erdogan l’a révélé aux journalistes à bord de son avion après s’être rendu en Arabie saoudite. Une tendance régionale à ostraciser Israël est visible maintenant et elle est destinée à s’étendre et à s’approfondir.
Le sommet de Riyad a vu l’Union africaine se joindre à la Ligue arabe et à l’OCI pour signer mardi un accord tripartite visant à établir un mécanisme de soutien à la cause palestinienne, qui sera coordonné par les secrétariats des trois organisations pour changer la donne afin de renforcer leur influence dans les forums internationaux. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal bin Farhan, a noté que les trois organisations allaient désormais parler d’une seule voix au niveau international.
Alors même que le sommet se terminait à Riyad, le prince héritier Salman a eu une conversation téléphonique mercredi avec le président russe Vladimir Poutine. Le compte-rendu du Kremlin déclare7 que les deux dirigeants «ont réaffirmé leur engagement à poursuivre l’expansion constante» des liens russo-saoudiens et ont notamment «souligné l’importance de poursuivre une coordination étroite au sein de l’OPEP Plus et ont insisté sur l’efficacité et l’actualité des mesures prises dans ce cadre pour assurer l’équilibre du marché mondial de l’énergie.»
Sur le conflit israélo-palestinien, le compte-rendu du Kremlin note avec satisfaction que «les approches de principe de la Russie et de l’Arabie saoudite concernant le règlement au Proche-Orient sont essentiellement identiques.»
L’initiative de MbS de relancer le dialogue avec Poutine ne peut être vue que dans le contexte des profondes préoccupations de Riyad concernant l’amitié virile entre Trump et Netanyahu et le spectre d’une possible guerre qui ravagerait la région, déclenchée par le soutien sans faille des Etats-Unis à la cause sioniste qu’Israël attend pour les quatre prochaines années.
* M. K. Bhadrakumar a travaillé pendant trois décennies comme diplomate de carrière au service du ministère indien des Affaires étrangères. Il a été, entre autre, ambassadeur en Union soviétique, au Pakistan, en Iran, en Afghanistan ainsi qu’en Corée du Sud, au Sri Lanka, en Allemagne et en Turquie. Ses textes traitent principalement de la politique étrangère indienne et des événements au Moyen-Orient, en Eurasie, en Asie centrale, en Asie du Sud et en Asie pacifique. Son blog s’appelle «Indian Punchline». |
Source: https://www.indianpunchline.com/west-asia-reacts-to-trumps-dalliance-with-zionism/, 14 novembre 2024
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 https://fortune.com/2024/11/10/netanyahu-donald-trump-calls-election-israel-iran-lebanon-gaza/
2 https://www.newsweek.com/donald-trump-victory-speech-full-transcript-1981234
6 https://www.middleeasteye.net/news/turkey-severs-all-relations-israel-says-erdogan