Il y a du printemps dans l’air pour les liens entre les Etats-Unis et la Russie – alors que la révolution de Trump prend de l’ampleur
par M.K. Bhadrakumar,* Inde
(28 février 2025) Ce qui ressort des événements dramatiques de la semaine dernière, c'est que la rivalité entre les Etats-Unis et la Russie, qui dure depuis trois ans, et la guerre par procuration de l'OTAN en Ukraine ont été une crise mise en scène avec beaucoup de prudence par l'alliance anglo-américaine selon un agenda pernicieux conçu par les néoconservateurs libéraux qui sont liés au mondialisme ancré dans l'establishment de Washington et de Londres, pour infliger une défaite stratégique à la Russie.

(Photo mad)
Moins d’un mois après son retour dans le Bureau ovale, le président Donald Trump a commencé à démanteler, par une série de mesures audacieuses, le mur de fer qui s’était abattu sur l’Europe centrale. Son impact est déjà visible, car les canaux de communication avec Moscou ont été rouverts, comme en témoignent l’appel du nouveau secrétaire d’Etat américain Marco Rubio à son homologue russe Sergueï Lavrov samedi et leur accord pour se rencontrer1 au niveau des délégations en Arabie saoudite la semaine prochaine.
L’administration Trump permettra la reprise du travail diplomatique normal et discutera de la restitution rapide des biens diplomatiques saisis unilatéralement par les administrations Obama et Biden dans des actes gratuits de malignité et d’orgueil sans motif, en violation des Accords de Vienne. Faites confiance à la Russie pour rendre la pareille!

négociations directes ont lieu le 18 février 2025 à Riyad entre les ministres
des Affaires étrangères Rubio (Etats-Unis) et Lavrov (Russie). (Photo
Popov/TASS/dpa/picture alliance)
L’importance en aval des comptes-rendus de Moscou2 et de Washington3 sur la conversation téléphonique Rubio-Lavrov est l’accord mutuel entre les deux dirigeants – Trump et le président russe Vladimir Poutine – pour les échanges interactifs américano-russes à différents niveaux est en cours de suivi en vue d’améliorer les relations bilatérales ainsi que «sur les questions clés internationales, y compris la situation en Ukraine, les développements en Palestine et au Moyen-Orient élargi, ainsi que d’autres questions régionales».
En outre, une équipe désignée par la Maison Blanche, composée, outre Rubio, du conseiller américain à la sécurité nationale Mike Waltz et de l’envoyé du président pour le Moyen-Orient (qui travaille également sur les questions ukraino-russes) Steve Witkoff, rencontrera une équipe russe dirigée par Lavrov dès cette semaine. L’inclusion de Witkoff, un négociateur «axé sur les résultats», un vieil ami de Trump, est particulièrement intéressante. Witkoff s’est rendu à Moscou la semaine dernière pour une visite solo non médiatisée, qui semble avoir été productive.
Il est clair que Trump a tiré les leçons de son premier mandat et qu’il est déterminé à ne pas se laisser émasculer à nouveau par le «marais» de Washington. C’est là que Witkoff intervient.
L’approche et le style politique de Trump sont tout à fait fascinants. Trump a commencé à passer à la vitesse supérieure dès qu’il a réussi à constituer une équipe de «loyalistes» partageant les mêmes idées pour diriger le ministère de la Justice, le Pentagone, le Trésor, etc. et, surtout, à régénérer avec force l’autorité du procureur général et de l’agence nationale de renseignement pour servir son programme.
Ainsi, en dernière analyse, il importe peu que son administration soit remplie de personnalités pro-israéliennes ou d’une poignée de partisans de la ligne dure à l’égard de la Chine. En effet, c’est Trump qui prendra les décisions. Des surprises pourraient être au rendez-vous dans le cadre de revirements politiques.
Cela devrait déjà donner des nuits blanches au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, que Trump a sensibilisé à son intention d’améliorer les relations avec l’Iran. A mon avis, Trump pourrait même ne pas donner suite à son annonce spectaculaire de «prise en main» de Gaza, etc.
En ce qui concerne les relations avec la Russie, le modèle qui se dessine est que Trump s’adresse d’abord à Poutine et transmet ses décisions au département d’Etat et à d’autres agences pour qu’elles soient suivies d’effet. De même, le mécanisme des sommets est remis au goût du jour en tant que locomotive des relations entre grandes puissances. Il est déjà question que Trump organise des réunions au sommet avec Poutine en Arabie saoudite et avec Xi Jinping. Trump cherchera probablement à conclure un accord avec le président chinois Xi Jinping à un moment ou à un autre.
Une telle approche nécessite de réduire le rôle et l’influence de l’Etat profond qui a étouffé la présidence de Trump pendant la période 2016–2020. Le défi auquel Trump est confronté est énorme, étant donné le lien entre le Parti démocrate et l’Etat profond, et le potentiel de nuisance des médias grand public qui sont largement sous leur contrôle et hostiles à Trump.
Dans un cas flagrant de cette semaine, le Wall Street Journal (WSJ) a délibérément déformé certaines remarques du vice-président J.D. Vance pour troubler l’atmosphère dans le tango naissant entre les Etats-Unis et la Russie. Selon l’article, Vance aurait déclaré que les Etats-Unis pourraient utiliser des moyens de pression économiques et militaires contre la Russie et que l’option d’envoyer l’armée américaine en Ukraine «reste à l’étude» au cas où Moscou refuserait de résoudre le conflit de bonne foi. Moscou a immédiatement demandé des éclaircissements et Vance lui-même a dû publier une réfutation pour mettre les choses au clair.
Vance a écrit sur X: «Le fait que le Wall Street Journal ait déformé mes propos comme il l’a fait pour cet article est absurde, mais pas surprenant étant donné qu’il a passé des années à faire pression pour que davantage de fils et de filles américains en uniforme soient inutilement déployés à l’étranger.»
Trump a exprimé à plusieurs reprises sa méfiance à l’égard des agences de renseignement américaines. Selon CNN, tous les employés (environ 22 000 personnes) de la CIA ont reçu une lettre leur offrant deux options: poursuivre leur service sans garantie de conserver leur emploi à l’avenir ou partir à leur demande dans le cadre du programme de licenciement différé, tout en conservant leur salaire et des avantages supplémentaires jusqu’à la fin septembre.
Il est intéressant de noter qu’un code a été «inclu» à l’intérieur de ces lettres qui permet de suivre la réexpédition de la lettre par le destinataire, comme garantie contre les fuites, ce qui était la pratique utilisée lors du licenciement des employés de l’ancien Twitter après son acquisition par le milliardaire Elon Musk, qui est maintenant considéré comme l’un des plus proches conseillers de Trump et dirige le quasi-Département de l’efficacité gouvernementale qui supervise la réduction du gouvernement fédéral!
La dissolution de l'USAID, qui a traditionnellement fonctionné comme «équipe B» de la CIA pour promouvoir les révolutions colorées et les changements de régime, peut également être vue sous cet angle. Selon Vladimir Vasiliev, chercheur en chef à l’Institut des Etats-Unis et du Canada de l’Académie russe des sciences, qui étudie de près ce sujet, Trump a déclaré la guerre à la CIA, qu’il accuse d’être à l’origine de sa défaite électorale en 2020.
Vasiliev estime que jusqu’à présent, la lutte contre l’Etat profond dans le domaine du renseignement extérieur et intérieur progresse régulièrement, mais qu’elle va maintenant «s’accélérer» avec la confirmation de l’ancienne membre du Congrès, Tulsi Gabbard, au poste de chef du renseignement national, et de Kash Patel au poste de directeur du FBI.
D’autre part, la rumeur de Delhi, dominée par les compagnons de route du défunt régime de Biden, veut que l’Etat profond ait finalement le dernier mot et que Trump ne soit même pas autorisé à terminer son mandat de quatre ans. Mais à mon avis, il s’agit là d’un vœu pieux.
Il ne faut pas sous-estimer la détermination de Trump. Ni les ressources et les outils dont il dispose pour brouiller les pistes du désarroi au sein du Parti démocrate, qui a traditionnellement fourni la couverture politique nécessaire à l'Etat profond.
Il est possible que les provocations de Trump, avec l'aide d'Elon Musk et de Steve Bannon, aient pour but de semer le trouble dans les politiques européennes, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne, qui constituent le bastion de l'euro-atlantisme sur le continent, et d'empêcher ainsi la formation de cliques libérales mondialistes au sein du système transatlantique.
Patel a laissé entendre qu’il existait suffisamment de preuves d’abus de pouvoir pour condamner la vieille garde, jusqu’à M. Biden lui-même. Trump ne peut ignorer qu’il est extrêmement important d’anticiper une réaction négative des Démocrates. Les juges fédéraux des Etats gouvernés par les Démocrates contestent ouvertement les méthodes de Trump. Il est évident que la capacité de Trump à piéger la vieille garde dans une toile d’araignée de litiges prolongés changera la donne.
Les derniers sondages montrent que Trump bénéficie d’un soutien massif de 77% pour nettoyer le marais. L’optique de cette croisade sera extrêmement importante pour la capacité de Trump à faire avancer son programme de politique intérieure et étrangère.
* M. K. Bhadrakumar a travaillé pendant trois décennies comme diplomate de carrière au service du ministère indien des Affaires étrangères. Il a été, entre autre, ambassadeur en Union soviétique, au Pakistan, en Iran, en Afghanistan ainsi qu’en Corée du Sud, au Sri Lanka, en Allemagne et en Turquie. Ses textes traitent principalement de la politique étrangère indienne et des événements au Moyen-Orient, en Eurasie, en Asie centrale, en Asie du Sud et en Asie pacifique. Son blog s’appelle «Indian Punchline». |
Source: https://www.indianpunchline.com/spring-is-in-the-air-in-us-russia-ties-as-trumps-revolution-gains-momentum/, 16 février 2025
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 https://www.nytimes.com/2025/02/15/us/politics/trump-russia-ukraine-war-saudi-arabia.html
2 https://www.mid.ru/en/foreign_policy/news/1997596/
3 https://www.state.gov/secretary-rubios-call-with-russian-foreign-minister-lavrov