Changement de décor politique, le sommet se déplace de Vienne à Genève

par Willy Wimmer*

(4 juin 2021) Cela ressemble à une simple nouvelle sur un changement de lieu. La distance entre Vienne et Genève est gérable. Pourtant, il doit y avoir une raison de choisir Genève. Peut-être allons-nous tous profiter du fait que le 16 juin 2021, deux présidents vont se promener sur les rives du lac Léman et boire un café?

La décision des deux présidents de préférer Genève suscite la nostalgie en Europe et dans le monde. Car il fut un temps où les meilleurs et bons offices pouvaient être rendus par un pays neutre. Ce pays avait un nom: la Suisse. Il y a quelques semaines, le monde a pu constater à quel point cette signification était à nouveau d'une actualité dramatique. Une collaboratrice de haut rang de l'ambassade de la Suisse à Téhéran est décédée à la suite d’une chute d'un gratte-ciel. Selon les dires, cette dame était parfaitement au courant des points principaux des négociations secrètes que la Suisse neutre mène avec des Etats qui sont hostiles les uns aux autres, mais apprécient cependant les bons offices de la Suisse.

Cela attire l'attention sur un dilemme fondamental qui a marqué les évolutions des dernières décennies. Au cours de la période qui a suivi la fin de la guerre froide, les Etats-Unis ont resserré les rênes des Etats alliés et amis à tel point que même les Etats précédemment neutres ne conservaient plus guère d’indépendance. Concernant la Suisse, un autre exemple illustre cette situation.

Si l'on examine la structure financière du Comité international de la Croix-Rouge, la domination absolue des Etats-Unis parmi les donateurs est frappante. Alors que les pays européens n’apportent qu’une faible contribution – d’un pourcentage s’élevant à un chiffre – à cette tâche importante, les Etats-Unis y contribuent dans des proportions bien différentes. Il en va de même pour la Croix-Rouge, l'OMS et la Fondation Gates. Celui qui se taille la part du lion du financement fixe les règles essentielles. Tel a été le caractère de la politique américaine au cours des trente années qui ont suivi la fin de la guerre froide: asservir toutes les organisations internationales aux objectifs américains.

Les Nations Unies, qui ont dû intégrer l'OTAN en tant que fournisseur de services militaires mondiaux, en sont un exemple remarquable. Ce qui n'a pas été utilisé pour les intérêts nationaux américains a servi aux organisations non gouvernementales américaines et aux milliardaires mondiaux comme terrain de jeu international pour faire valoir leurs intérêts par le biais de l'ONU et de ses organismes. Une interview célèbre de la présentatrice de la ZDF, Marietta Slomka, avec un spécialiste, traitant de la reconstruction de l'Allemagne par le biais de la migration et avec l’aide des Nations Unies, l'a clairement montré.

Il est dans la tradition de la Suisse d'organiser des contacts internationaux, même dans des situations difficiles. En tant que siège de nombreuses organisations internationales, Genève est un lieu approprié pour de telles réunions. (photo keystone)

C'est précisément la raison pour laquelle le lieu de rencontre choisi, Genève, est si passionnant. Non seulement parce que, pour de bonnes raisons, Genève est le deuxième siège principal de l’Organisation des Nations Unies. Les présidents Poutine et Biden peuvent y faire ce qu'ils veulent. En choisissant Genève, ils se sont consciemment placés dans la tradition de Genève, laquelle comprend aussi les efforts de paix ratés de la Société des Nations, précurseur peu glorieux de l’Organisation des Nations Unies actuelle. Quiconque se réunit aujourd'hui à Genève, après trente ans d'âge de glace politique entre Washington et les autres, dont Moscou, doit tenir ses promesses, et cela envers le monde entier. Sinon, on court le risque de prendre les efforts de paix ratés de la Société des Nations comme un présage pour les temps à venir.

Deux éléments, essentiels pour le monde entier, ne peuvent être contournés à Genève. En vertu de la Charte de Paris de novembre 1990, la Russie a acquis le droit de s'installer dans la Maison commune européenne. Depuis lors, ce droit lui est progressivement retiré. Ce constat est aussi évident, et presque sans autre explication, que le second résultat que le monde attend de la rencontre des deux présidents Poutine et Biden à Genève: le retour inconditionnel de toutes les parties à la Charte des Nations Unies, à son libellé et à sa signification.

Après les deux guerres mondiales dévastatrices, la Charte des Nations Unies a été le seul gain de civilisation, si tant est que l'on puisse utiliser ce terme. Avec la guerre d'agression de l'OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie, qui était contraire au droit international, la Charte des Nations Unies et le monopole du recours à la force du Conseil de sécurité de l'ONU ont été pratiquement réduits à néant.

L'OTAN a ainsi rétabli le statu quo juridique du 1er septembre 1939, qui a permis l'attaque du Reich allemand contre la Pologne pour ses propres besoins. La proximité même de la réunion de Genève avec une autre date historique le montre clairement. Le 22 juin 2021, la Russie ne sera pas seule à se souvenir de l'attaque du Reich allemand contre l'Union soviétique de l'époque. Raison de plus pour revenir à la Charte des Nations Unies et à sa proscription de la guerre.

Tout le reste entretient le soupçon qu'une politique semblable à celle qui existait avant le traité de Versailles de 1919 doit être mise en œuvre face à la Russie d'aujourd'hui. Les présidents Poutine et Macron ont attiré l'attention sur ce point à maintes reprises depuis 2019.

Bien sûr, la rencontre de Genève ne doit pas être surchargée d'attentes. Toutefois, le monde ne peut se permettre de n'avoir à l'esprit que la perspective d’une prochaine conflagration mondiale. Il y a des résultats mitigés, si l'on regarde autour de soi. Par exemple, le conseiller à la sécurité du président chinois Xi va se rendre à Moscou pour préparer la rencontre de Genève avec le président Poutine. Cela illustre à quel point les événements de Hong Kong et la destruction par l'Occident de l'approche politique de Pékin envers Hong Kong et Taïwan ont mené la situation au bord de la guerre. «Un pays, deux systèmes» était la construction pour garantir la démocratie et la paix. L'appel à l'indépendance dirigé de l’extérieur a rendu ce concept sans substance. Le voyage du conseiller à la sécurité chinois à Moscou souligne également l'étroitesse des liens entre Moscou et Pékin. Il ne serait pas surprenant que, compte tenu de leurs bonnes relations, le Premier ministre israélien Netanyahu rende visite à son partenaire de Moscou, tout comme pourrait le faire un envoyé de Téhéran.

Toutefois, les événements de ces derniers jours montrent clairement qu'il ne faut pas négliger les obstacles artificiellement érigés dans la région pour empêcher cette rencontre. Ce n'est pas seulement le prétendu courriel venant de la Suisse et mentionnant un danger pour l'avion Ryanair volant d'Athènes par l'espace aérien biélorusse en direction nord qui le montre clairement. Avec tous les événements que l'on peut constater ces derniers jours, certains soupçons ne peuvent être mis de côté.

Tous les ingrédients n'ont-ils pas été livrés gratuitement à la porte pour créer des obstacles rendant impossible l'arrivée d'une des parties à la rencontre de Genève? On peut, bien sûr, reléguer cela au domaine de la spéculation selon les schémas habituels. Cependant, personne ne devrait oublier tout ce qui a été entrepris aux Etats-Unis pour rendre impossible l'entente entre le président Trump et le président russe.

Cela peut être lié à l'évolution des Etats-Unis au cours des dernières années. En matière de politique mondiale, la vieille phrase, «qui va à la chasse perd sa place», s'applique également. Le président Obama s'est abaissé à parler d'une «puissance régionale» en référence à un certain pays. Tout cela ne doit pas se répéter si Genève doit être autre chose qu'un souvenir de l'impératrice Sissi et de sa fin peu glorieuse.

Source: https://www.nachdenkseiten.de/?p=72835, 27 mai 2021

(Traduction «Point de vue Suisse»)

Bibliographie de l’auteur:

  • Avec Wolfgang Effenberger. Wiederkehr der Hasardeure: Schattenstrategen, Kriegstreiber, stille Profiteure 1914/2014. Höhr-Grenzhausen 2014. ISBN 978-3-94300-707-7.

  • Préface. In: Wolfgang Effenberger. Das amerikanische Jahrhundert, Teil 2: Wiederkehr des Geo-Imperialismus? München 2011. ISBN 978-3-64090-215-6

  • Die Akte Moskau. Höhr-Grenzhausen 2016. ISBN 978-3-94300-712-1

  • Deutschland im Umbruch. Vom Diskurs zum Konkurs – eine Republik wird abgewickelt. Höhr-Grenzhausen 2018. ISBN 978-3-94300-716-9

  • Lagebericht zu: Halford Mackinder. Der Schlüssel zur Weltherrschaft. Die Heartland-Theorie mit einem Lagebericht von Willy Wimmer. Frankfurt am Main 2019. ISBN 978-3-86489-289-9

  • Gemeinsam mit Alexander Sosnowski. Und immer wieder Versailles – Ein Jahrhundert im Brennglas. Höhr-Grenzhausen 2019. ISBN 978-3-94300-723-7

* Willy Wimmer est juriste et une personnalité politique allemande. De 1976 à 2009, il a été membre du Bundestag. En 1985 et en 1992, il a été porte-parole de la CDU/CSU et par la suite secrétaire d’Etat parlementaire auprès du ministre fédéral de la Défense. De 1994 à 2000, il fut vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Willy Wimmer prend régulièrement position de manière indépendante et résolue sur les questions de l’Allemagne et de la politique internationale. Il publie régulièrement des articles et des livres.

 

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