Une loi fondamentale pour les enseignants?

par Michael Felten,* Allemagne

(21 juin 2024) (CH-S) Les médecins ont le serment d’Hippocrate qu’ils doivent respecter. Après tout, nous leur confions notre santé et, surtout, notre vie. Aux enseignants, nous confions notre enfants, c’est-à-dire ce que nous avons de plus précieux, notre avenir.

Ne serait-il pas temps de réfléchir à une «loi fondamentale pour les enseignants», à l’instar du serment d’Hippocrate? Le pédagogue Michael Felten le fait en pensant à l’Allemagne, cependant ses réflexions n’en sont pas moins importantes pour les enseignants suisses.

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Michael Felten
(Photo mad)

Ces derniers temps, il y a eu de nombreuses discussions sur notre Loi fondamentale. Depuis 75 ans, elle garantit une base juridique à la cohabitation des gens en Allemagne, non pas dans les détails, mais dans les grandes lignes. Elle s’applique à tous ceux qui vivent ici, y compris les enseignants. Mais pour ces derniers, il faudrait en fait la spécifier un peu plus. En effet, les enseignants sont particulièrement engagés dans notre communauté et notre avenir – nous leur confions tout de même notre jeunesse.

Les enseignants de nos enfants sont de nature assez différente, ce qui, primo, est inévitable et, secundo, n'est pas si mal. C’est ainsi que les adolescents apprennent à s’accommoder de la diversité des personnes. De plus, notre système éducatif est structuré de manière fédérale, les enseignants de Bavière et ceux de Brême n’agissent donc pas exactement selon les mêmes devises. Néanmoins, on ne peut nier qu’il devrait y avoir – outre les directives et les règlements de service des Länder – quelques règles de base de la corporation pédagogique. Mais elles ne sont inscrites nulle part – donc, osons une tentative.

Ce qui compte, ce n'est pas qu'une méthode ait un nom
qui sonne bien, mais que les processus d'apprentissage
soient durables. (Photo keystone)

Article 1)
Les enseignants sont des leaders pédagogiques.

Les enseignants ne sont ni des meilleurs amis ni des officiers. Ils doivent plutôt maîtriser l’art d’être à la fois égaux et inégaux avec les jeunes. Ils doivent d'une part être sensibles à la pensée et aux sentiments des enfants, mais d’autre part être capables de leur indiquer sans crainte la direction à suivre et de porter des jugements.

Article 2) Le scepticisme est l’une des principales qualités des enseignants.

Car ils travaillent dans une sorte de triangle des Bermudes: les élèves veulent faire le moins de devoirs possible, les parents veulent au moins le baccalauréat pour leur enfant, et le ministère de l’Education veut ceci avant les élections et cela après. On attend donc des enseignants qu'ils soient des personnes indépendantes et critiques, car ils doivent trouver la voie qu'ils sont en mesure d'assumer pour leur groupe d'apprentissage et leurs élèves spécifiques.

Article 3) Il existe de nombreuses façons d’enseigner de manière efficace.

Cela peut paraître banal, mais ce n’est pas le cas. Dans de nombreux endroits, le mot d’ordre a longtemps été qu’il existait une méthode d'enseignement et d’apprentissage unique, telle que l’apprentissage auto-géré et autonome des élèves. La recherche l’a réfutée, certaines autorités l’ont reconnu – mais les enseignants devraient également en être informés. Ils devraient en outre se tenir au courant de ce que la recherche sait à ce sujet, quels chemins mènent plutôt à Rome – et lesquels plutôt pas. Ce qui doit être déterminant, n'est pas qu’une méthode ait un nom séduisant ou qu’elle soit attrayante, mais que les processus d’apprentissage des élèves soient durables, qu’ils agissent en profondeur.

Article 4) Les personnes sont plus importantes que les chiffres.

Depuis peu, toutes nos activités sont mesurées – et certes, l’évaluation fournit aussi des données intéressantes dans le domaine de l’éducation. Mais les données ne sont pas tout à l’école. L’enseignement est essentiellement une affaire de relations, un échange à base émotionnelle entre les enseignants et les apprenants. Il fonctionne différemment des processus d’une ligne de cuisson de petits pains, se laisse tout au plus décrire de manière rudimentaire dans le langage de l'économie, et n’est finalement pas saisi par des notions telles que «output» ou «income».

Article 5) La formation pour demain se fait sur des objets d’aujourd’hui.

On entend partout que l’école doit être totalement transformée – car le XXIe siècle, avec ses incertitudes et sa complexité, nécessite de toutes nouvelles compétences. L’éducation ne peut donc plus être une acquisition de connaissances, il faut mettre en avant la collaboration, la créativité, la pensée critique et la communication. Bien sûr, ces compétences ont toujours été très importantes, sauf qu’elles ne s’acquièrent pas en cale sèche, mais justement dans le cadre d’un apprentissage spécialisé.

De toute façon, pour les générations précédentes aussi, l’avenir était avant tout incertain. Une formation sérieuse et exigeante dans un présent historiquement réfléchi a toujours été la meilleure chose qu’une société pouvait offrir à sa jeunesse.

* Michael Felten, né en 1951, a enseigné les mathématiques et les arts pendant 35 ans. Il est l’auteur d’ouvrages spécialisés et de matériel pédagogique, travaille comme formateur d’enseignants indépendant et a obtenu le Human Award 2014 de l’Université de Cologne. www.eltern-lehrer-fragen.de

Première publication dans https://www.news4teachers.de/2022/08/berufsethos-bildungsforscher-zierer-verlaengt-lehrkaeften-einen-sokratischen-eid-ab/

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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